Absence de quatrième mur : kit de survie à usage du public

Juliette Follin 05/03/2018

Imaginez : vous êtes dans le public d’un plateau d’humour au Paname Art Café. L’ambiance est bonne, les humoristes commencent à vanner et à parler au public. Comment gérer l’absence de quatrième mur en toute sérénité ? Après des heures et des heures sur les bancs publics de l’humour, je vous livre quelques astuces pour passer cette épreuve draconienne.

Si vous avez lu mon guide pour assister à un spectacle humoristique, vous savez que je suis peu embêtée dans les salles de stand-up. Les humoristes s’adressent aux personnes juste à côté de moi. Malgré mon placement au premier rang, je passe entre les gouttes. Or, ça, c’était avant.

Au Paname Art Café, le quatrième mur passerait pour un gros mot

En plus, je commence à être connue des humoristes. Ainsi, on partage une sorte de pacte de non-agression avec le quatrième mur. Je sais ce qui va être dit, ils savent qu’ils auront mieux à explorer ailleurs. Mais ce dimanche dernier, je suis allée au Paname Art Café avec la confiance, peut-être un peu trop.

Comprenez-moi : les serveurs me connaissent tellement qu’ils m’apportent un verre de jus de banane sans prendre ma commande. J’ai l’impression d’être un félin qui a marqué son territoire sur les murs, en y déposant peaux de bananes et autres éclats de rires. A l’entrée, Betty Durieux est là et je savais que j’allais la trouver. Ghislain Blique, qui jouait à 17 heures (je le savais encore) surgit comme si j’avais écrit le scénario. Et Jean-Philippe de Tinguy, qui est revenu au Paname deux jours plus tôt, ne tarde pas à arriver. Les choses s’enchaînent bien, mais je sais qu’il y a un risque de voir ce plan sans accroc capoter.

Tareek, trublion du stand-up

Parmi les humoristes sur scène à 18 heures, il y a Tareek. Ne vous y méprenez pas : je l’aime bien. Je sais qu’il vanne beaucoup, et qu’on n’a pas trop eu l’occasion de se croiser. Je l’ai vu au premier plateau auquel j’ai assisté, Lève-toi et vanne aux Ecuries… un plateau de Radio Nova qui a intérêt à revenir parce que c’était bien. Oui, je pose ça là.

Bref, quand j’ai vu Tareek, je n’avais pas encore bâti cet empire qu’est Le spot du rire. Il avait vanné le mec juste à côté de moi, le taxant de violeur de la Nièvre. Hors contexte, ça a l’air horrible, mais c’est très bienveillant. Je savais que ça pouvait partir en sucette.

Arrivé au sous-sol, Tareek assure la chauffe. Ça veut dire qu’il passe deux fois : au début, et à la fin. A côté de moi, un groupe de réunionnais : je me dis qu’ils vont y passer. Pas immédiatement, mais il y travaille sûrement déjà dans ses pensées, en bon improvisateur. Au premier rang sur le côté droit, une fille visiblement timide se fait allumer. Il la vanne, lui demande si on peut parvenir à faire passer le teint de son visage du rouge au bleu.

Après un long moment, il assène d’autres coups ci et là, et je passe outre, ça tape à côté de moi. Lorsqu’il fait la chauffe pour accueillir Julien Jaro, il s’interrompt sur moi. J’étais semble-t-il tellement immobile que j’avais l’air morte. Clairement, là, tu sers tous tes sphincters et tu es encore en train de prier, même athée. Ça rigole, mais ça n’appelle pas de réponse. Je me dis que ce n’est que le premier round.

Deuxième round : la démolition

Julien Jaro passe, ça rigole doucement mais plus salement sur les sujets de cul. Le public est un peu mou sauf quand on le titille. Jean-Philippe passe ensuite, il parvient à attirer une partie de la salle dans son délire. Puis Waly Dia entre en scène, taxe Jean-Philippe de mec chelou. Même s’il enfonce une porte ouverte, il en tire les bénéfices : les rires sont de plus en plus francs. Noman Hosni et Ayoub font aussi leurs passages, avec une mention spéciale à Noman qui repart sur l’impro et fait partir le public en fou rire sur les pets en couple. Ça ne manque jamais.

Et Tareek revient sur scène et privilégie un passage d’improvisation. Il s’arrête sur moi, me demande comment je m’appelle, ce que je fais dans la vie, la routine en l’absence de quatrième mur. Je m’attends à quelques vannes bien senties. Mais il me demande si j’ai passé un bon moment et parmi les humoristes, lequel je trouve le plus beau gosse. Maintenant, il faut savoir que c’est la question à ne pas me poser. Mais il ne me connaît pas. Il ne sait pas que je sors de 20 ans à être bassinée sur cette question pour tout. J’ai appris à ne pas parler de ça en sports mécaniques, parce que quand tu es une nana dans ce monde-là, à un moment ou à un autre, tu vas vouloir de la teub.

C’est ce que pensent les gens dans ce monde masculin-là. Bref, lourd. Mais je ne peux pas raconter ça. En plus, ça embête vraiment tout le monde dans ma vie : je n’aborde pas ce sujet. Mon ex n’était même pas sûr de savoir ce que j’en pensais. Donc, je lui ai répondu :

Non mais, je ne m’exprime pas sur le sujet.

Evidemment, il n’allait pas me lâcher. Je me suis dit : « ça va être sale ». Là, il a compris qu’il avait affaire à un être humain borderline, il m’a dit que je ressemblais à la fille dans The ring. Et il a cartonné, c’était cool et la dignité de tout le monde est restée intacte. Voici une partie des punchlines de Tareek, sans tout ce que je vous ai raconté.

Mon conseil pour bien gérer l’absence de quatrième mur

L’absence de quatrième mur est très intimidante pour le public, mais c’est aussi ce qui permet à un passage de décoller. Parfois, les humoristes vont vous faire vivre des choses débiles. Je me souviens du jour où Paco Perez nous a demandé de mettre notre pouce sur notre front pour faire un truc totalement insensé. Clairement, je n’ai pas fait ce truc, et il m’a forcée. Le relou. Mais tu te dois de jouer le jeu, même 3 secondes. Tu as le droit de soupirer un peu, mais pas trop.

L’important, c’est de montrer modérément ta gêne. Elle est normale, elle va faire marrer tout le monde. Je conseillerais de ne pas fondre en larmes, ce qui pourrait générer un climat de malaise. Plus sérieusement, n’ayez pas peur, c’est juste pour rire.

Crédits photo

Tareek au Sentier des barres © Betty Durieux

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